Enquête de Radio Prague auprès des 6.C sur le centenaire de la Tchécoslovaquie

Que représente la Tchécoslovaquie centenaire pour les enfants du millénaire ?

Magdalena Hrozínková
29-10-2018
Article original ici.

Qu’appréciez-vous le plus dans votre pays fondé il y a cent ans ? Que lui reprochez-vous ? Quelle est la République tchèque où vous voudriez vivre ? Des personnalités politiques, culturelles et publiques répondaient à ces questions dans d’innombrables enquêtes publiées ces jours-ci dans les médias, histoire de refléter, de manière un peu plus personnelle, le passé et le présent du pays. A l’occasion du centenaire de la Tchécoslovaquie, Radio Prague a réalisé sa propre enquête… chez les plus jeunes, les citoyens et électeurs de demain.

 

 

« Je ressens un sentiment de fierté et d’appartenance à mon pays lors des grandes manifestations sur la place Venceslas par exemple ou sur la place de la Vieille-Ville. Lorsque j’assiste à des rassemblements organisés à l’occasion des fêtes nationales du 17 novembre ou du 28 octobre, j’ai l’impression que nous partageons les mêmes valeurs avec mes concitoyens, des valeurs démocratiques qui ont été bafouées par le passé. »

« Même si nous ne sommes qu’un petit pays, nous avons influencé l’histoire à plusieurs reprises. La République tchèque est célèbre pour sa bière, pour les succès de ses sportifs, je pense par exemple à Ester Ledecká qui a gagné deux médailles d’or dans deux disciplines différentes aux derniers JO d’hiver. Nous, les Tchèques, nous sommes très bons en hockey sur glace… Tout cela m’inspire de la fierté. »

Les jeunes du troisième millénaire, ce sont eux. Ils ont dix-huit ans et la Tchécoslovaquie, ils ne la connaissent qu’à travers des manuels scolaires. Pourtant, ces jeunes adultes de la terminale du Lycée Jan Neruda de Prague, réputé pour sa section bilingue franco-tchèque, n’hésitent pas à donner leur avis sur les grands bouleversements que leur pays a vécu au cours du XXe siècle. Quels sont, selon eux, les événements les plus importants de l’histoire tchécoslovaque ?

« Ce qui me vient à l’esprit, c’est surtout la période récente, l’année 2004 et notre entrée dans l’Union européenne. »

« Je pense à l’année 1918 et à la Première République tchécoslovaque. C’était une période riche, marquée par des personnalités importantes comme T. G. Masaryk et par la naissance de la démocratie dans notre pays. C’est un modèle à suivre… »

« Moi, je choisirais l’année 1942 et l’attentat contre Reinhard Heydrich. Par cet acte, les Tchèques et les Slovaques ont influencé non seulement l’histoire de leur pays, mais l’histoire mondiale. »

« Personnellement, je pense à la période autour des accords de Munich. La signature de ce document a vraiment marqué la population tchèque qui, depuis, ne fait pas autant confiance aux pays de l’Ouest. »

« Je pense que notre génération, les jeunes Tchèques en général, se rappellent surtout des réussites sportives de ces derniers temps, par exemple des Jeux olympiques de Nagano en 1998. »

« J’évoquerais la Deuxième République (octobre 1938-mars1939, ndlr), comme l’ultime tentative des Tchèques et des Slovaques pour survivre avant l’occupation nazie, une tentative qui n’a pas marché et qui a même influencé la situation après la guerre. »

« Je trouve moi aussi que l’attentat contre Heydrich est un acte très important, comme un acte de résistance, d’autant plus que pendant la guerre, les Tchèques n’ont pas résisté avec la même force que les Polonais par exemple. »

Enseigner l’histoire, c’est faire des parallèles

Une autre enquête que la nôtre, menée par l’ONG Post Bellum auprès d’un millier de Tchèques, a révélé que les jeunes de moins de 24 ans notamment avaient des connaissances très faibles sur les grands moments historiques qu’a vécus leur pays au cours du XXe siècle. Les auteurs de cette étude ont ainsi constaté que l’histoire telle qu’elle est souvent enseignée dans les écoles tchèques, n’était pas intéressante et captivante pour les jeunes. L’expérience de Lenka Hubáčková, professeure d’histoire-géographie au Lycée Jan Neruda le confirme : l’apprentissage de l’histoire est probablement le plus efficace lorsqu’il passe par des témoignages, des histoires personnelles des individus qui, dans leur ensemble, composent la « grande histoire », mais aussi par l’histoire des lieux:

L. H. : « Nous travaillons justement sur un projet consacré au centenaire de la Tchécoslovaquie. Les étudiants travaillent sur des endroits différents à Prague, des lieux chargés d’histoire. Je vous donne un exemple : le Théâtre national. On peut y trouver des moments révélateurs de l’histoire du XXe siècle. Par exemple, les nazis ont obligé les comédiens tchèques à se rassembler là-bas et à faire une déclaration de loyauté. Nous pouvons ensuite parler de l’anti-charte, où de nouveau, parfois les mêmes artistes ont été obligés de témoigner leur loyauté envers le régime communiste. Nous pouvons aussi parler de l’année 1989, car la révolution de Velours s’est aussi déroulée dans les théâtres. Ainsi, avec nos étudiants, nous ne partons pas sur des dates, mais sur des endroits, pour qu’ils se rendent compte aussi de la continuité de l’histoire. »

« Dans notre lycée, nous travaillons sur l’histoire du XXe siècle pendant deux ans. Nous pouvons aller en profondeur, travailler sur des documents, analyser des situations. J’essaie toujours de partir de l’actualité. Ensuite, on peut faire de nombreux parallèles, y compris avec l’histoire très ancienne. Un exemple : Jeanne d’Arc. C’est un personnage qui n’est pas uniquement lié à la guerre de Cent Ans, c’est un personnage qui a été instrumentalisé. On peut partir de l’actualité pour tout finalement. Les élèves apprécient cette approche. Il est vrai qu’ils n’aiment pas mémoriser les dates… Il existe évidemment des dates à connaître, comme celles finissant en huit. Mais de manière générale, nous essayons surtout de leur apprendre à interpréter, expliquer, argumenter, comparer. Je dois aussi dire qu’ils ont des connaissances préliminaires, ce sont des jeunes gens qui s’intéressent à l’actualité, qui lisent, vont à des expositions et voient des films. Je n’ai qu’à leur demander et ils ont plein de choses à dire. »

Je suis fier d’être né dans le pays de Havel

Le roman HHhH de Laurent Binet, les biopics sur Jan Palach et Milada Horáková ou encore une lettre ouverte adressée, en 1975, par le dissident Václav Havel au président communiste Gustav Husák, autant d’œuvres et de documents qui ont marqué les élèves du Lycée Jan Neruda que nous avons rencontrés. Leurs témoignages se rapportent également à leur identité nationale. Que représente pour eux le fait d’être tchèque ? Que leur vient à l’esprit lorsqu’on leur pose la question d’appartenance à leur patrie ?

« Pour moi, mon identité nationale est liée au paysage tchèque, à la campagne et aussi à Prague, notre capitale, et à son patrimoine historique. Les beautés de notre pays nous influencent, elles définissent, elles aussi, qui nous sommes, qui je suis. »

« Pour moi, le sentiment d’appartenance à la République tchèque est lié à l’histoire, à la littérature, à la culture du pays. »

« Spontanément, je pense à nos traditions, à notre façon de célébrer Pâques par exemple, à nos repas traditionnels. »

« Moi, je me sens surtout citoyenne de l’Union européenne. Je ne me souviens pas comment c’était avant notre adhésion, j’étais trop petite. J’aime aussi le fait de partager beaucoup de choses avec les Slovaques, même si nous ne vivons plus au sein d’un Etat commun. »

« En décembre 2011, quand Václav Havel est mort, je me suis senti fier d’appartenir à la nation qui a partagé ses idées humanistes. »

« A chaque fois que je séjourne à l’étranger, je me rends compte que nous avons en République tchèque une énorme liberté de la parole, que ce soit dans la vie politique, à l’école ou entre amis. Même dans les autres pays démocratiques, ce n’est pas toujours aussi évident qu’ici. »

Les extrémistes ne pourront pas compter sur nous

Le 100e anniversaire de la fondation de l’ancienne Tchécoslovaquie est sans doute une bonne occasion de se tourner vers le futur. Comment les jeunes adultes tchèques imaginent-ils la République tchèque dans cent ans ? Quelles sont les ambitions et les rêves de leur génération ?

« 100 ans, c’est encore très loin… Aujourd’hui déjà, les partis extrémistes et populistes ont de plus en plus de pouvoir dans notre pays et c’est inquiétant. Ces partis représentent potentiellement un grand danger, car ils pourraient mettre en cause notre position sur la scène internationale. Il nous faut être vigilants, conscients de ce danger. »

« Effectivement, le danger de l’extrémisme qu’Aneta vient d’évoquer est réel. Toutefois, je pense que les partis extrémistes ne peuvent pas s’appuyer sur notre génération. Ils peuvent compter sur le soutien de nos concitoyens plus âgés, mais pas vraiment sur le nôtre. Je crois que nous, les jeunes, nous pourrons faire évoluer la situation actuelle vers quelque chose de beaucoup plus positif. »

« Personnellement, je pense que la société tchèque se portait bien quand Václav Havel était président. Depuis sa disparition, tout s’est aggravé. Actuellement, nous sommes dans une situation vraiment très compliquée. »

« Je pense que les Tchèques ont décidément une capacité à s’adapter. Mais je ne suis pas sûr que ce soit une qualité… J’espère que dans le futur, les Tchèques seront plus capables de faire face aux problèmes que de les supporter. Et aussi, qu’ils sauront s’ouvrir un peu plus aux autres. »

« Nous pourrions aussi améliorer le niveau de notre intégration et de coopération avec les autres Etats en ce qui concerne les problèmes mondiaux, écologiques etc. Dans le futur, il nous faudra être plus coopératifs au sein de l’Union européenne. »

« Moi, je trouve important que la production de la bière tchèque ne baisse pas dans le futur à l’échelle mondiale (rires). La bière, c’est notre marque de fabrique à l’étranger. Quand je dis que je suis tchèque, on me pose toujours la même question : ‘alors, comment trouves-tu la bière locale ?’ »

« J’espère que dans le futur, les Tchèques feront preuve de plus de rationalité dans les débats, qu’ils soient d’ordre politique ou moral. On ne peut pas débattre en se laissant emporter par des émotions. On doit débattre avec des arguments. »